
« Pierre, m’aimes-tu ? » - « Tu sais toutes choses, tu sais que je t’aime »
Jean 21, 14-19
Notre Évangile aime le chiffre 3. Jésus se montre à ses amis pour la troisième fois . Eux qui se sont enfuis à l’heure de la Passion, mais qui sont pourtant restés ensemble, déboussolés, espèrent secrètement aussi une nouvelle naissance. Le ressuscité les rejoint et partage le repas. Signe charnel de l’amitié et mémoire vive de l’amour sans mesure - pour tous - de Jésus de Nazareth.
Mais voici que les apôtres s’effacent et le narrateur ne garde avec lui que Simon Pierre et le disciple bien aimé. Un dialogue unique se noue alors avec Simon. Je suis bouleversée d’entendre le ressuscité, lui qui a vaincu la mort, poser cette question qui nous taraude : « M’aimes-tu ? » Trois supplications pour l’art de chérir. « M’aimes-tu vraiment ? » Nos amours reposent sur la parole offerte, livrée : « Oui, je t’aime. » Mais elle vacille souvent, de sincérité en sincérité. La promesse de Jésus, elle, est dans la vérité du don qui ne se dément pas. Son amour est certain. La demande adressée à Pierre suggère pourtant que, même ressuscité, il implore toujours comme un homme l’amour de son ami, le nôtre. Par trois fois - discrète évocation des trois reniements. Jésus ne regarde pas en arrière mais offre à Simon la joie de dire son attachement. Mais tous deux ne semblent pas se comprendre : Jésus parle de l’amour qui trouve en Dieu sa source (agapê), Pierre répond par son affection, son amitié (philia).
La troisième fois, le ressuscité modifie son intention. Il entre dans le possible de Pierre, celui de sa tendresse unique pour le Maître. Est-ce pour cela que le fils de Jonas est attristé : que le Christ puisse douter de son attachement ? Ou parce qu’il n’entend pas de quel amour divin il est aimé ? Mais cette tristesse est féconde car elle permet au disciple de s’en remettre à son Seigneur : « Seigneur, tu sais tout. »
Cette confession de Pierre me touche spécialement. Si souvent, je la murmure. Devant mes faiblesses, mes écarts quant à ce que je voudrais vivre. La vie évangélique - dont parfois je me sens loin - n’est pourtant pas un parcours d’excellence, ni de compétition. Le Seigneur transforme lui-même notre attachement et le tourne vers la vérité d’aimer. Jésus n’attend pas l’impossible de Pierre pour lui confier les siens. Compte qu’il confesse son affection d’homme. Sans elle, Le Bon Pasteur ne saurait remettre ses brebis, surtout les plus fragiles. Que le peuple de Dieu de tous les temps puisse être non pas jugé, mais accueilli en toutes circonstances, apaisé. Répondant à cette assignation du Seigneur, Pierre sera transformé. Son amour ne sera plus de lui, mais de la délicatesse de Dieu. Amour de ressemblance, qui le mènera jusqu’à perdre sa vie pour ceux qui lui sont confiés. Comme son Maître. Pas de goût morbide ni de désir sacrificiel, seulement un art d’aimer venu du Fils, celui de la donation.
L’amour de Pierre porte encore l’Église aujourd’hui. Mais pas sans celui du plus humble, de chacun, ordinaire et miraculeux. Gratitude pour la persévérance - dans nos limites pourtant - de l’amour sans mesure, qui fait signe vers l’humain véritable comme vers le vrai Dieu. « Suis-moi. » Allons en sa compagnie, aimons en sa compagnie, sûrs que nous ne serons pas délaissés.
Véronique Margron, dominicaine