Être un corps, avoir un corps, faire corps !
Édito du "Vivre ensemble" N° 39
Article mis en ligne le 9 juin 2014
dernière modification le 26 juillet 2020

Être un corps, avoir un corps, faire corps !

Oh la la ! Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu, pour qu’on me propose un tel sujet ? Que dis-je ? Sujet imposé : être un corps, avoir un corps, faire corps. Pourquoi donc avoir accepté ? Était-ce par gentillesse de rendre service, lâcheté de ne pas oser dire non, ou bien encore vanité de figurer en première page de "Vivre Ensemble", journal du doyenné de Fontenay-le-Comte ?
Mais puisqu’il faut y aller, allons-y gaiement !

Être un corps. Bien sûr que je suis mon corps. On ne peut pas glisser une feuille de papier cigarette entre moi et mon corps. On peut marcher à côté de ses pompes (ce que je suis peut-être en train de faire) mais on ne peut pas marcher à côté de son corps. Quand je m’active, c’est mon corps qui s’active. Mais quand je pense, c’est mon corps qui pense. Et quand je m’émeus, c’est toujours mon corps qui s’émeut.

Et pourtant j’ai un corps. Cette tête mal rasée, à peine réveillée, aperçue dans la glace ce matin, c’est bien la mienne, mais ce n’est pas vraiment moi, juste un petit morceau de moi qui colle mal avec ce que je crois être. Et cette rage de dents qui m’habite et m’empêche d’aligner deux idées cohérentes, c’est en moi, mais est-ce bien moi ? Et regardez là-bas ce gringalet tordu : il court de travers, tout désarticulé, on a l’impression qu’il va perdre des morceaux de son corps, il avance au mépris des lois de la dynamique ; pourtant il va gagner la course. Apparemment contre son corps, ou du moins ce qu’il en laisse paraitre. Il fait avec.
Bien souvent nous jouons un morceau de nous-même contre les autres. Par exemple : à coups de volonté nous voulons remporter un combat quand tous nos muscles crient grâce et nos neurones aspirent au sommeil, que l’envie n’est plus vraiment là, et que nous nous refusons à poser sur nous un regard serein.
Peut-être serait-il temps de mettre un peu d’écologie dans notre rapport à notre corps, à nous-mêmes. L’homme est tenté de faire plier le monde entier aux injonctions de son désir tout puissant. Et la nature en fait les frais. La même tentation existe de faire plier notre corps aux désirs de toute puissance qui nous habitent. Bien sûr notre corps nous limite, tout n’est pas possible mais sans lui nous ne sommes rien.

Notre corps nous limite et pourtant nous lie. Hé oui ! Nous faisons corps. Je ne suis pas moi-même tout seul. Je donne la main. Dans la mêlée de rugby, on se lie pour avancer ensemble, pour exister avec d’autres. Au baptême, l’imposition des mains signifie que j’entre dans ce corps qu’est l’Église. Plus encore peut-être, je suis lié aux autres par la parole que je dis, que dit mon corps : donner sa parole et la tenir, c’est faire passer l’autre avant soi. J’ai promis donc je ferai, même si ce n’est pas mon intérêt premier.

Claude Arrignon
Édito du « Vivre ensemble » N° 39 juin 2014.

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